En 1972, l’école de musique de Bressuire offre au musée de Bressuire une peinture décrite ainsi sur l'inventaire : « un grand tableau anonyme représentant Ste-Cécile, de la fin du XIXème siècle ». L'oeuvre d'une belle dimension (H. 140 cm ; l. 84 cm) est remisée dans les réserves du musée puis dans les greniers de la mairie où elle demeure ignorée pendant 35 ans. A l’occasion d’une visite de routine dans les greniers de la ville en 2008, le conservateur du musée repère cette oeuvre d'une belle facture. Une marque de doigt incrustée dans la toile témoigne d'un transport maladroit, une déchirure indique qu'elle a été posée sur l'angle d'un meuble, des éraflures, de nombreuses salissures et des repeints successifs dénaturent la scène et la beauté de la jeune femme. Bien que datée du XIXème siècle, son thème et sa facture rappellent des périodes antérieures. Au regard de son intérêt, il est décidé en 2012 de confier sa restauration au restaurateur Xavier Jallais, de l'atelier Verre-Jade situé à Morthemer [1]. Les travaux se déroulent pendant près d’une année au sein de l’atelier du Centre de Conservation et de Restauration des Peintures et Arts graphiques des musées de Niort. Nous appuyant sur son travail remarquable une enquête au coeur des archives et des bibliothèques nous fait découvrir quelques bribes de son histoire. C'est cette quête qui est contée dans les lignes suivantes. |
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La peinture avant restauration | L'Allégorie après restauration | ||
Exemple de déformation de la toile qui a engendré le soulèvement et la disparition de la couche picturale |
Lacunes | Le restaurateur Xavier Jallais comble une lacune au sein de l'atelier du Centre de Restauration et de Conservation des Peintures & Arts Graphiques des Musées de Niort | Visage débarrassé à moitié de son ancien vernis |
Le phylactère avant nettoyage |
Le tableau sous lumière ultra-violette révèle de nombreux repeints (tâches sombres) | Après examen de la toile aux UV qui permet e discerner les couches picturales anciennes (en bleu) le repeint(gauche) est rectifié (droite) | Ajout de bandes de tension aux bords de la toile qui ont été coupés, vraisemblablement pour la faire tenir dans son cadre actuel |
Cette impression est due, nous semble-t-il, à un ensemble de caractéristiques qui s'apparente davantage au réalisme baroque qu'à l'idéalisme classique. La scène est construite en pyramide irrégulière. La composition nous emmène naturellement vers les yeux de la jeune femme, au deux-tiers de la hauteur du tableau. Ses vêtements au large drapé avec un grand noeud sont amples et forment de grandes courbes qui traversent une partie de l'espace, générant une impression de mouvement malgré la position statique de la jeune femme. Ses cuisses sont très longues, suffisamment pour porter la lyre, toucher l'angle du tableau et mener l'oeil du spectateur sur la droite, presque jusqu'à sortir du tableau. Cette légère déformation physique met en valeur l'instrument et apporte une touche de dynamisme supplémentaire au tableau. Les couleurs bleue blanche et rouge composent une gamme froide en même temps qu'elles participent à détacher le personnage du fond, comme une sorte de perspective. L'impression de froideur ou de détachement de l'ensemble est contrebalancée par la sensualité de la mèche de cheveux qui retombe dans le cou et le léger décolleté. Celui-ci permet d'apprécier la belle et fine carnation du personnage dont le visage exprime une émotion de surprise ou de ravissement. Les yeux tournés vers le ciel évoquent, selon les conventions artistiques des XVIème et XVIIème siècles qui seront reproduites jusqu'au XIXème siècle, soit l'extase mystique pour les tableaux religieux, soit le ravissement pour les peintures profanes. En somme, la jeune femme perçoit des "choses" qui dépassent la raison et notre univers de terriens. Elle est assise sur des nuages et le modèle de lyre peint ici n'a jamais existé car il ne fonctionnerait pas sur terre. Est-ce donc l'instrument de Dieu ou dieu de la musique Apollon ? Comme la jeune femme n'est accompagnée d'aucun symbole religieux (pas d'auréole au-dessus de la tête) et que la lyre est un instrument plutôt profane, il semble bien que ce monde extraordinaire appartienne à l'univers profane. Mais qui est-elle donc ? Mais nous venons de faire référence au XVIIème alors que cette peinture est décrite lors de son arrivée au musée comme ayant été peinte au XIXème siècle. Pourquoi ? La restauration de la peinture qui passe par un examen attentif de ses composants et des techniques employées, nous apporte des informations décisives : la trame de la toile indique une fabrication du XVIIème siècle et la couche de préparation sous la peinture est rouge, conformément aux habitudes du temps. Le thème comme les techniques employées nous orientent donc vers le XVIIème siècle. Des comparaisons sont-elles possibles ? Une piste nous est fournie par une estampe gravée par Vermeulen d'après un dessin du peintre Pierre Mignard (1612 -1695). C'est une allégorie de la musique. Elle est utilisée comme frontispice pour un recueil de pièces de clavecin de Henri d'Anglebert (1629-1691) paru en 1689. Et plusieurs points communs sont immédiatement décelables : la chevelure est très proche de notre allégorie, un oiseau survole la jeune femme, le phylactère porte un texte identique et la lyre est la même que celle figurant sur les peintures. On peut donc imaginer que l'oeuvre de Bressuire est inspirée par le dessin ou par la gravure de Mignard. Son créateur, de grand talent, appartenait peut-être à l'entourage de Mignard. Ce n'est pas une toile de chevalet ! Avant cette transformation, l'Allégorie devait donc être une peinture posée sur une boiserie, comme cela s'est beaucoup pratiqué aux XVIIème-XVIIIème siècles pour orner les cabinets de musique ou de travail de riches érudits. On pense ainsi au cabinet parisien de Jacques le Destin (1597-1661) qui fit représenter les septs arts libéraux. Peut-être notre Allégorie de la Musique a-t-elle des soeurs en Allégories conservées quelque part... [1] Xavier Jallais a présenté son travail à l’occasion de la Nuit des musées qui s’est déroulée au musée le 16 mai 2015. |